L’entropion congénital est une malformation rare de la paupière présente dès la naissance. Il se caractérise par un retournement vers l’intérieur du bord de la paupière, ce qui amène les cils à frotter directement contre la surface de l’œil. Cette anomalie concerne le plus souvent la paupière inférieure du nourrisson, bien que la paupière supérieure puisse plus rarement être affectée. Lorsque les cils se retrouvent en contact avec l’œil – typiquement la conjonctive et la cornée – ils peuvent entraîner une irritation de ces tissus délicats. Il s’agit d’un problème à prendre au sérieux, car un entropion non détecté et non corrigé peut menacer la santé de l’œil et la vision de l’enfant.
Détection précoce chez le nourrisson
L’entropion congénital peut parfois passer inaperçu dans les tout premiers jours de vie du bébé, notamment si le frottement des cils est modéré. En effet, les cils du nouveau-né sont très fins et souples, ce qui fait qu’ils n’irritent pas immédiatement la cornée ou la conjonctive. Toutefois, dès la naissance ou au cours des premières semaines, un examen attentif peut révéler la malposition de la paupière. Les pédiatres et ophtalmologistes examinent généralement les yeux du nourrisson et peuvent observer que les cils sont orientés vers l’intérieur et touchent la surface oculaire de manière anormale.
Plusieurs signes peuvent alerter les parents ou le médecin. On peut noter un larmoiement constant du ou des yeux du bébé (yeux larmoyants), dû à l’irritation provoquée par les cils sur la cornée. Le nourrisson peut présenter une hypersensibilité à la lumière (il ferme souvent les yeux ou détourne le regard en présence d’une lumière vive) et un clignement fréquent ou un frottement des yeux par réflexe d’inconfort. On peut parfois observer une légère rougeur de la conjonctive (le blanc de l’œil) si l’irritation est déjà présente. Il est important de distinguer l’entropion congénital d’autres problèmes oculaires du nourrisson : par exemple, un canal lacrymal bouché peut aussi causer un larmoiement, mais dans ce cas les cils ne frottent pas l’œil. Un examen ophtalmologique spécialisé, idéalement réalisé dans les premiers mois de vie, permettra de poser le bon diagnostic. En résumé, dès les premières semaines, la présence de cils frottant la cornée et les symptômes d’irritation oculaire chez un bébé doivent faire évoquer un entropion congénital et conduire à consulter un spécialiste.
Causes connues et facteurs contributifs
L’entropion congénital résulte d’une anomalie anatomique de la paupière survenue pendant le développement embryonnaire. Concrètement, on retrouve souvent un déséquilibre dans la structure de la paupière : la couche profonde de la paupière (contenant le cartilage tarsal et les tissus de soutien) est trop courte ou trop rigide, tandis que la couche musculaire superficielle (notamment le muscle orbiculaire des paupières) est trop puissante ou épaisse. Ce déséquilibre force le bord de la paupière à se rouler vers l’intérieur de l’œil. Dans certains cas, on a longtemps suspecté une hypertrophie ou un spasme anormal du muscle orbiculaire (partie prétarsale) comme cause de l’entropion congénital, bien que les preuves histologiques d’une telle hypertrophie soient insuffisantes. D’autres spécialistes suggèrent qu’un défaut d’insertion des rétracteurs de la paupière (structures internes qui aident normalement à maintenir la paupière en place) pourrait être impliqué. Ces mécanismes sont encore débattus, car l’entropion congénital véritable est très rare et difficile à étudier, mais ils expliquent en partie la malposition du bord palpébral.
Par ailleurs, l’entropion congénital peut être primaire (isolé) ou secondaire à d’autres anomalies oculo-faciales. Il est assez fréquent de le retrouver chez des nourrissons ayant un globe oculaire anormalement petit ou enfoncé dans l’orbite. Par exemple, en cas de microphtalmie (œil de petite taille) ou d’énophtalmie (position anormalement reculée de l’œil dans son orbite), le support habituel de la paupière fait défaut et celle-ci a tendance à se retourner vers l’intérieur. De même, une anophtalmie (absence de globe oculaire) s’accompagne presque toujours d’un entropion de la paupière correspondante du fait de l’absence totale de support. Dans de rares situations, l’entropion congénital s’intègre dans un contexte syndromique ou génétique : certaines maladies congénitales peuvent s’accompagner de rétractions cicatricielles de la paupière (par exemple le xéroderma pigmentosum ou le syndrome EEC) et provoquer un entropion dès la naissance. Néanmoins, dans la grande majorité des cas, aucun syndrome n’est présent et l’entropion congénital est une anomalie isolée.
Il est important de noter que l’entropion congénital authentique (liée à une malformation de la paupière elle-même) est extrêmement rare. Bien plus fréquente est une condition similaire appelée épiblépharon congénital – souvent observée chez les nourrissons d’Asie mais aussi chez certains enfants caucasiens – où un repli de peau supplémentaire sur la paupière inférieure pousse les cils contre l’œil, sans que le bord de la paupière ne soit véritablement enroulé. L’épiblépharon peut donner l’apparence d’un entropion congénital léger, mais sa physiopathologie est différente et son évolution plus bénigne (voir plus loin). Il est donc crucial que le spécialiste ophtalmologiste fasse la part des choses entre un entropion congénital vrai et d’autres malpositions palpébrales du nourrisson afin d’adapter la prise en charge.
Symptômes et risques encourus
Dans de nombreux cas d’entropion congénital, surtout lorsqu’il est modéré, le nourrisson peut ne présenter que peu de symptômes immédiatement apparents. Comme évoqué, les cils du tout-petit étant très souples, ils peuvent initialement ne pas causer de gêne majeure. Néanmoins, plusieurs signes cliniques peuvent être observés en présence d’un entropion congénital, et ces signes ont tendance à s’intensifier avec le temps si rien n’est fait.
Les symptômes oculaires découlent principalement de l’irritation mécanique continue de l’œil par les cils. Le plus courant est un larmoiement excessif (yeux qui coulent en permanence) chez le bébé. On note aussi une rougeur de l’œil affecté et une irritation de la conjonctive – la paupière retournée peut provoquer une inflammation visible du blanc de l’œil et de la surface interne de la paupière. Le nourrisson peut ressentir (ou manifester par son comportement) une sensation de corps étranger dans l’œil, similaire à une impression de poussière ou de sable sous la paupière. Bien sûr, le bébé ne peut exprimer verbalement cette sensation, mais on peut le suspecter s’il cligne fortement des yeux, pleure dès qu’on touche la paupière ou présente un blépharospasme (fermeture involontaire et crispée de l’œil) en réaction à l’inconfort.
À cause de l’irritation, l’œil peut devenir douloureux ou du moins provoquer un franc inconfort – le bébé peut montrer de l’agitation, des difficultés à ouvrir l’œil atteint, surtout en pleine lumière. Une photophobie (sensibilité marquée à la lumière) est en effet souvent présente lorsque la cornée est irritée : le nourrisson a tendance à garder les yeux fermés dans un environnement lumineux. Parfois, on observe aussi des sécrétions oculaires anormales : l’œil peut sembler « sale », avec un écoulement muqueux voire purulent si une conjonctivite ou une surinfection s’installe du fait de l’irritation chronique.
Si l’entropion congénital n’est pas reconnu et persiste, il peut engendrer des complications sérieuses. Le frottement permanent des cils contre la cornée provoque souvent une kératite (inflammation de la cornée) visible sous forme de lésions ponctuées à sa surface. À la longue, cette irritation peut endommager la cornée de façon durable : les couches superficielles de la cornée s’altèrent, ce qui augmente le risque d’infection oculaire. En effet, une cornée fragilisée se défend moins bien contre les germes, et une infection cornéenne (ulcère de cornée bactérien par exemple) peut survenir et s’aggraver rapidement chez un tout-petit. L’irritation chronique peut également conduire à la formation d’un ulcère cornéen, c’est-à-dire une érosion plus profonde de la surface de la cornée. Un ulcère de cornée non traité représente une urgence car il peut laisser une cicatrice opaque. L’ensemble de ces complications cornéennes peuvent aboutir à une baisse durable de la vision sur l’œil touché. Par exemple, un nourrisson avec un entropion non corrigé et une cornée abîmée risque de développer une amblyopie (perte de la capacité visuelle d’un œil pendant le développement, par désusage) ou même une cécité partielle si la transparence de la cornée est compromise. Dans les cas extrêmes et très prolongés, on craint la perforation cornéenne, bien que cela soit rarissime chez un nourrisson sous surveillance.
En somme, les principaux symptômes de l’entropion congénital à repérer sont : yeux larmoyants en permanence, rougeur oculaire et irritation, sensibilité à la lumière, paupière ayant un aspect anormal (bord enroulé vers l’œil) avec les cils touchant la cornée, et éventuellement sécrétions oculaires inhabituelles. Face à une telle constellation de signes, il est crucial de consulter un ophtalmologiste pédiatrique sans tarder. Une prise en charge rapide permet d’éviter les complications sur la cornée qui pourraient affecter la vision de l’enfant.
Évolution naturelle de l’entropion congénital
L’évolution spontanée de l’entropion congénital dépend en grande partie de la sévérité de l’anomalie et de sa véritable nature. Dans certaines formes légères, ce qui est observé chez le nourrisson n’est pas un entropion « pur » de la paupière mais plutôt un repli cutané (épiblépharon) qui retourne transitoirement les cils vers l’œil. Ce type de présentation a généralement tendance à s’améliorer de lui-même au fil de la croissance de l’enfant : à mesure que le visage et le nez du bébé se développent et que la graisse faciale se répartit différemment, la paupière inférieure prend une forme plus définitive et les cils retrouvent une orientation normale. Ainsi, l’épiblépharon congénital (excès de peau) s’atténue souvent spontanément avec la croissance, sans laisser de séquelles. Dans ces cas peu gênants, une simple surveillance ophtalmologique est préconisée, d’autant plus que les cils souples du nourrisson n’irritent pas trop l’œil et que la situation peut rentrer dans l’ordre en quelques mois ou années.
En revanche, dans le cas d’un véritable entropion congénital où tout le bord libre de la paupière est enroulé vers l’intérieur, la correction spontanée est rare. Au contraire, l’expérience clinique montre que ce type d’entropion a tendance à persister voire à s’aggraver avec le temps si aucune intervention n’est réalisée. Plus l’enfant grandit, plus ses cils deviennent longs et robustes, et plus le frottement sur la cornée augmente. Sans prise en charge, on peut voir s’installer une irritation cornéenne chronique de plus en plus importante. Dans le cadre de certaines affections congénitales comme la trisomie 21, on a même observé que l’entropion, bien que peu fréquent, s’aggravait progressivement avec l’âge chez ces enfants.
Il est donc essentiel de bien distinguer les cas susceptibles de s’amender d’eux-mêmes de ceux qui nécessiteront une correction active. En résumé, si l’entropion congénital est léger et peu symptomatique, une amélioration spontanée est possible au cours de la petite enfance, sous surveillance médicale régulière. Par contre, si l’entropion est franc (paupière franchement enroulée) et qu’il provoque des signes d’irritation significatifs, il ne disparaîtra probablement pas spontanément. Au contraire, la malposition risque de perdurer tant qu’une correction n’est pas apportée. Dans ces situations, l’ophtalmologiste pédiatrique envisagera généralement un traitement approprié (souvent chirurgical) une fois l’enfant suffisamment âgé, afin de repositionner la paupière et prévenir tout dommage oculaire permanent.
En conclusion, l’entropion congénital est une pathologie rare de la paupière du nourrisson qui doit être connue et dépistée tôt. Bien qu’il puisse parfois se résorber spontanément dans les formes minimes, un entropion véritable a un pronostic spontanément défavorable, avec des risques de lésions cornéennes et de troubles visuels si on le laisse évoluer. La vigilance des parents et des médecins, ainsi qu’une évaluation ophtalmologique précoce, permettent de poser le diagnostic et de décider du suivi adapté. En gardant le focus sur la santé de l’œil du bébé, on pourra éviter les complications et assurer à l’enfant un développement visuel normal malgré cette anomalie palpébrale congénitale.